Malgré certaines améliorations, des rapports publiés dans les dernières années indiquent que les soins de première ligne au Québec sont moins performants que ceux des autres provinces du Canada quant à l’accessibilité et la coordination.
Les soins de première ligne au Québec reposent principalement sur les Groupes de médecine de famille (GMF), dans lequel les patients sont inscrits auprès d’un médecin de famille qui travaille avec une équipe d’autres professionnels de la santé, tels que des infirmières, des travailleurs sociaux et des pharmaciens. Les GMF ont été créés en 2002 pour répondre aux difficultés rencontrées par le modèle des CLSC, notamment le manque d’intégration au système de santé dans son ensemble et les difficultés à attirer et retenir les médecins de famille. Aujourd’hui, 65% de la population est inscrite auprès d’un médecin de famille travaillant dans un GMF.
Vingt ans plus tard, les soins de première ligne au Québec sont toujours en retard par rapport au reste du Canada. Le sondage OurCare mené l’année dernière a recueilli plus de 9 000 réponses à travers le Canada dont plus de 2 500 au Québec et il apporte quelques éléments permettant d’y voir plus clair.
Au Canada, près d’un adulte sur cinq (22%) déclare ne pas avoir de médecin de famille ou d’infirmière praticienne spécialisée (IPS) qu’il puisse consulter régulièrement. Au Québec, la situation est pire : un sur trois (31%) déclare ne pas avoir de médecin de famille ou d’IPS. Bien que cette proportion soit légèrement supérieure à celle rapportée par le ministère de la Santé et des Services sociaux en avril 2023, il n’en reste pas moins que pour plus de 2 millions de Québécois, la porte d’entrée du système de santé est fermée. Ils n’ont pas accès à une ressource fiable vers laquelle se tourner lorsqu’ils sont confrontés à de nouveaux problèmes qui les inquiètent, mais ils n’ont également personne pour les aider à gérer leurs maladies chroniques, s’assurer qu’ils reçoivent des soins préventifs ou coordonner leur parcours dans un système de santé complexe.
OurCare sondage Q1: Avez-vous actuellement un médecin de famille ou une IPS que vous pouvez consulter lorsque vous avez besoin de soins ou de conseils pour votre santé?
Ce constat est d’autant plus surprenant considérant les investissements réalisés pour développer les soins en équipe interprofessionnelle, qui sont souvent présentés comme une solution aux problèmes d’accès. En effet, le sondage OurCare a révélé que, comparativement au reste du Canada, davantage de Québécois ont un médecin de famille qui travaille en collaboration avec une infirmière ou un travailleur social. Mais le contexte québécois est unique au Canada dans la mesure où de nombreux médecins de famille doivent contribuer aux soins en milieu hospitalier ou dans d’autres secteurs du système, ce qui contribue à une pénurie de ressources humaines en soins de première ligne. De plus, le modèle de paiement à l’acte n’encourage pas la délégation à d’autres professionnels et peut induire une demande de soins superflue.
Malgré sa réputation de défenseur des programmes sociaux, le Québec a été critiqué pour avoir progressivement ouvert la porte aux frais de soins de santé au cours des deux dernières décennies. Parmi les répondants québécois qui n’ont pas de médecin de famille ou d’IPS, 37% ont dû payer des frais pour des soins non urgents, contre 21% dans l’ensemble du Canada. La grande majorité de ces frais concernaient le rendez-vous lui-même, ce qui suggère que certaines personnes doivent se tourner vers le secteur privé pour obtenir les soins dont elles ont besoin. De tels obstacles financiers affectent de manière disproportionnée les Québécois à faible revenu et les plus vulnérables.
OurCare sondage Q17: Avez-vous dû payer des frais?
Les résultats du sondage suggèrent également que les Québécois sont très favorables à de nouveaux modèles de pratique qui privilégient l’accessibilité et la simplicité pour les patients: 85% croient que les équipes multidisciplinaires en première ligne devraient être réorganisées pour fonctionner comme le système public d’éducation et accepter toute personne vivant dans leur quartier (72% pour l’ensemble des Canadiens) et 73% sont favorables à ce modèle, même si cela les oblige à changer de médecin ou d’IPS s’ils déménagent dans un autre quartier (66% pour l’ensemble des Canadiens). Une autre différence frappante est que les Québécois semblent accorder moins d’importance au lien personnel avec leur prestataire de soins que les autres Canadiens. Seuls 49% considèrent qu’il est très important que leur médecin de famille ou leur IPS les “connaisse en tant que personne”, contre 65% pour l’ensemble des Canadiens. Les défis de longue date en matière d’accès à la première ligne expliquent fort probablement ces résultats.
OurCare sondage Q51: Pensez-vous que les équipes de médecins de famille et d’IPS au Canada devraient accepter en tant que patient toute personne vivant dans le quartier près de leur bureau?
OurCare sondage Q25: Lorsque vous pensez aux soins offerts par un médecin de famille ou une IPS et à la pratique dans laquelle ils travaillent, à quel point est-il important pour vous qu’ils vous « connaissent en tant que personne et tiennent compte de tous les facteurs qui affectent votre santé » ?
Bien que les Québécois soutiennent de nouveaux modèles d’organisation de la première ligne comme l’accès de proximité par quartier à un médecin de famille, les changements récents visant à améliorer l’accès, tels que le Guichet d’accès à la première ligne (GAP) et l’inscription collective de patients à des GMF plutôt qu’à des médecins individuels, ont suscité à la fois de l’enthousiasme et des préoccupations. Certains professionnels de première ligne ont exprimé des inquiétudes quant à l’impact de ces changements sur la continuité des soins et la qualité du suivi à long terme des patients, ce qui pourrait mettre en péril la relation privilégiée avec leur médecin ou IPS.
Les décideurs politiques au Québec doivent relever le défi de taille de trouver l’équilibre entre garantir un accès équitable à la première ligne et la continuité et l’intégralité des soins. Pour faire face à la crise que vit la première ligne au Québec et dans le reste du Canada, nous devons impliquer directement les patients et le public dans la recherche de solutions prioritaires.
Au cours des prochains mois, OurCare organisera des panels de priorités dans cinq provinces, chacun comprenant environ 35 membres du public reflétant la diversité démographique de chaque région. Depuis avril, le panel de priorité du Québec se réunit pour examiner les défis des de la première ligne. Ses délibérations aboutiront à la fin du mois de mai avec des recommandations concrètes sur comment améliorer les choses. Nous espérons que les décideurs seront à l’écoute.
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